Travaux préparatoires pour le sacerdoce – Le sacrement du pardon

Unité 6 « Capable d’un nouveau commencement » Par Johane Filiatrault

  1. Quelle a été jusqu’à présent votre expérience personnelle du Sacrement de Pénitence?  Pouvez-vous retracer les différentes étapes vécues en vous-mêmes concernant ce sacrement et dégager ce qui fut la théologie en arrière-plan de chacune de ces étapes (même si, peut-être vous n’y pensiez pas en tant que théologie)?  Quelle a été votre évolution?

Je me rappelle qu’enfant, parmi les activités scolaires, il y avait quelquefois la confession à l’église.  Je me revois dans la file d’attente pour le confessional.  J’angoissais à me remémorer mes péchés pour bien pouvoir les dire au curé.  Je ressentais de la gêne face à cet exercice et je ne me rappelle pas d’avoir un seul instant pensé à Dieu.  J’étais seule face à moi-même et à mes manquements.

Adolescente, je n’avais plus l’obligation « scolaire » de me confesser, mais en tant que « pratiquante », nous étions régulièrement invités à le faire; et je le faisais de temps à autre, un peu dans le même esprit que quand j’étais enfant : une sorte de « devoir de bonne conscience à remplir ».  Je ne me rappelle pas l’avoir fait pour raffermir mon lien avec Dieu ou pour Lui faire plaisir ou quoi que ce soit qui soit en lien avec Lui.  J’essayais de bien faire ce qui m’était demandé par l’Église, en me disant que ça devait être bon pour moi d’avouer mes fautes, bien que cela me gênait encore énormément.

Après avoir vécu l’expérience de l’effusion de l’Esprit Saint à 16 ans, les choses ont commencé à changer.  D’abord, la confession m’est devenue plus pénible encore.  Il me semblait qu’après avoir vécu une telle rencontre avec le Seigneur, j’aurais dû être à la hauteur de Sa perfection. Et mes fautes me sont dès lors apparues comme tout à fait horribles.  J’en ressentais une honte et une culpabilité profonde quand je devais les avouer à un prêtre.  Trop prise dans ma honte, j’étais loin de vivre une rencontre avec Dieu dans le Sacrement de Pénitence.  D’ailleurs, ma honte n’était pas face à Dieu, mais face au prêtre qui m’entendait au nom de l’Église.  Avouer que je suis pécheresse était humiliant, alors que j’aspirais désormais à la sainteté.

La théologie qui se dégage de ces premières étapes me semble s’apparenter à celle d’ un « Dieu pédagogue ».  « Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil.  Qu’il n’aie sur moi nulle emprise », nous fait dire l’un des psaumes.  La confession des fautes, même vécue comme je l’ai d’abord vécue, sans lien conscient avec Dieu mais comme un acte ecclésial ou religieux, a l’immense vertu de nous préserver de l’orgueil puisqu’elle est un acte d’humilité, voire même d’humiliation consentie.  Elle est donc profondément bonne en soi.  Mais la confession n’est qu’un aspect du Sacrement de Réconciliation.  Il me restait à découvrir les autres aspects de cette grande institution du Christ.

Je cite ici un extrait de mon journal personnel (que j’ai déjà cité partiellement dans une unité antérieure) où je relate une expérience de confession vécue alors que j’avais 20 ans.  Je participais alors à une retraite « Foi et partage » tout en étant au service des retraitants puisqu’elle se déroulait dans la maison de prière diocésaine où je logeais et travaillais à temps plein comme bénévole.

2 avril 1982 

Samedi dernier a été pour moi un jour particulièrement riche en grâce et en miséricorde.  Je savais depuis quelque temps que nous allions célébrer le pardon ce soir-là.  Depuis quelques jours, le Seigneur préparait mon cœur à recevoir ce sacrement.  Il faisait la lumière en moi sur ce qui était vraiment mal, sur ce qu’il voulait que je confesse pour m’en guérir.  Alors j’ai demandé au Seigneur de me faire saisir ne serait-ce qu’une parcelle de l’infinie joie qu’il éprouve en me couvrant du manteau de son pardon, de me faire goûter la joie d’être l’objet de sa miséricorde infinie, la joie de me jeter en toute confiance dans les bras de mon Père. 

Le soir, quand est venue l’heure de la confession individuelle de nos fautes, Marc (le prêtre Eudiste animateur de la retraite et mon directeur spirituel de l’époque) m’a demandé de voir à ce que, toujours il y ait une personne qui attende à la porte de son bureau afin de ne pas prolonger inutilement la soirée.  Comme j’avais hâte de m’agenouiller pour avouer ma faiblesse!  Comme je désirais ce moment où, toute petite, je me jetterais avec confiance dans les bras amoureux de mon Sauveur!  Mais il m’a fallu attendre que chacun ait passé, il m’a fallu veiller à ce qu’il y ait toujours quelqu’un qui attendent à la porte du bureau de Marc.  Mais ce temps d’attente fut doux car se pressaient en moi cette hâte, ce désir, cette confiance.  Pour la première fois de ma vie, il n’y avait aucune crainte en moi (face au Sacrement du Pardon); seulement une douce hâte, une joie d’enfant.

Pour veiller, je me suis assise sur le divan face à la porte du bureau et j’ai appuyé ma tête sur l’épaule de Julie (une jeune amie qui participait à la retraite) pour mieux goûter l’abandon qui m’habitait, pour lui partager cette joie en mon cœur.  Quand enfin la porte du bureau s’est ouverte devant moi, je me sentais légère et heureuse.

Quand je me suis agenouillée pour me confesser, comme j’étais heureuse d’être faible et pécheresse, heureuse d’être toute petite devant mon Seigneur et d’avoir besoin de son salut.  Comment dirais-je la joie qui m’habitait lorsque j’ai reçu l’absolution, une joie pure, une joie d’enfant.  Comme le Seigneur est bon pour moi!  Après, il y a eu la fête.  Je sentais mon cœur inondé d’amour, de paix, de joie.  J’aurais voulu que le monde entier danse pour toi, Seigneur.  J’aurais aimé étreindre chacun de mes frères, chacune de mes sœurs.  J’aurais voulu laisser déborder de moi ce flot d’amour qui m’envahissait.   Je me sentais en communion avec mes frères et sœurs.  Mes pauvres mots ne suffisent pas à décrire ce qui m’habitait alors.  Il me revient cette parole du psaume : « Voyez qu’il est bon, qu’il est doux d’être frères, tous ensemble. »

Après la fête, je suis montée à la chapelle pour laisser mon âme bénir son Seigneur pour tant de bienfaits.  J’étais seule à la chapelle.  Comme je désirais que d’autres viennent se jeter aux pieds de Jésus.  Son cœur est si plein de grâces et personne ne venait s’esposer au feu brûlant de son amour!  Je priais pour que le Seigneur réalise sa parole « Quand j’aurai été élevé, j’attirerai à moi tous les hommes.  L’amour du Seigneur m’enveloppait de toutes parts.  Mon cœur était séduit par tant d’amour.  Euclide est arrivé (un ami légèrement handicapé intellectuellement mais d’une grande pureté d’âme), on a prié ensemble.  Comme je me sentais petite à côté de lui.  Sa pauvreté le rend grand et beau aux yeux de Dieu; je sentais cela et je me réjouissais de l’amour de mon Seigneur qui révèle ses mystères aux tout-petits…

…Ce soir-là où j’ai été lavée de mes fautes, mon cœur était celui d’une fiancée toute parée pour son Époux.  Je me sentais comme revêtue d’un vêtement de noce et mon Époux se tenait devant moi.  Il y avait en moi plus de joie que je ne pouvais en contenir.  Comme j’aurais aimé paraître ce soir-là devant mon Époux pour nos noces éternelles.  J’étais prête à mourir… Rien ne me semblait plus désirable que de contempler face à face mon Seigneur.

En disant le chapelet, quand je me suis couchée, les mêmes sentiments emplissaient mon âme.  Je me sentais neuve, purifiée, et l’amour et la joie qui m’habitaient me remplissaient d’action de grâce.  Je crois que j’ai goûté cette nuit-là un peu de la douceur des joies du ciel.  Je ne sais comment dire ce fleuve de bienfaits qui m’inondaient.  Je me suis réveillée très tôt le matin et j’ai redit le chapelet : les mêmes sentiments m’inondaient. 

Que le Seigneur, qui s’est plu à combler de biens son indigne petite créature, soit béni éternellement!

 

            J’ai pris la peine de citer presque intégralement la longue description que j’ai faite de cette expérience de pardon (même si je pense qu’elle pourrait en agacer plusieurs par la grande émotivité de son contenu – mais Dieu n’est-il pas Amour, totalement Amour?)… parce qu’elle est pour moi tout à fait fondamentale dans mon expérience de foi et dans ma préparation au sacerdoce.  J’ai vécu et compris ce soir-là, dans toute ma personne, corps et esprit, l’immense joie liée au pardon de Dieu, la totale régénérescence que procure son pardon.  Le Sacrement du Pardon est d’une richesse et d’une profondeur inouïes!    Il recrée l’être humain en Dieu, chaque fois qu’il est célébré, même si nous n’en avons pas pleinement conscience.  Quelle grâce extraordinaire nous est donnée par ces paroles : « Et moi, par le ministère d’Église qui m’a été confié, je te remets tous tes péchés.  Au nom du Père, du Fils et du St-Esprit. Amen.»

« C’est ainsi qu’il y a plus de joie au Ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de repentance. »

      Mon expérience personnelle du Sacrement du Pardon m’a permis de réaliser à quel point la confession à un prêtre est un exercice saint ; j’en ai davantage saisi les aspects suivants :

-La confession nous place et nous garde dans une juste humilité.

-Le pardon reçu nous recrée intérieurement, tout comme si Dieu replaçait notre compteur à zéro et qu’une vie de voiture neuve commençait pour nous, sans ennui de moteur, de transmission, de carrosserie, etc.  Il y a une re-création effective dans le Sacrement du Pardon – comme dans le Sacrement de Baptême – mais petit à petit dans le cours de la vie et de la croissance spirituelle.

-La méditation de la Parole de Dieu nous dévoile nos propres attaches au mal que nous pouvons ensuite humblement confesser et, ainsi, recevoir la grâce de nous en détacher.

-Ce sacrement est source de libération.  Il nous dégage progressivement de nos attaches au péché et nous fait entrer toujours plus avant dans la liberté des enfants de Dieu.

-Ainsi purifiés, nous pouvons davantage jouir de la proximité divine, que nous percevrons toujours mieux parce que libérés des obstacles qui nous empêchaient de la discerner.

-Dans ce sacrement, Dieu peut nous faire goûter la joie qu’il ressent à nous voir faire des pas pour nous rapprocher de Lui et le suivre plus intimement.

-Le Sacrement du Pardon nous relie à la création entière et nous replace dans la communion les uns aux autres comme dans la communion à Dieu lui-même.  Ce sacrement refait sans cesse l’Église en recréant des liens spirituels entre les enfants du Père.

-Le pardon reçu est source d’éternelle action de grâce envers la toute-miséricorde de Dieu.

            L’autre conclusion tirée de mon expérience personnelle du Sacrement du Pardon, c’est qu’il faut retrouver la fraîcheur et la spontanéité de ce sacrement pour permettre aux pénitents d’en goûter tous les fruits.  Je me souviens bien que quand le Père Marc – ou d’autres prêtres que j’ai rencontrés – célébrait ce sacrement, il était tout à fait à l’aise de nous tenir la main pendant la confession ou de nous serrer affectueusement et longuement dans ses bras – et ce, de manière tout à fait chaste – au moment de l’absolution ou de prier pour nous en posant sa main sur notre tête. Ces gestes de tendresse sont selon moi tout à fait nécessaires et/ou souhaitables pour manifester la miséricorde de Dieu que ce sacrement signifie.  Il n’y a pas de lieu préférable à un autre pour le célébrer, sinon un lieu où le pénitent sera à l’aise de se confier et de prendre l’attitude corporelle qui lui convienne, agenouillement ou autre.  Je devrais plutôt dire que, selon moi, le seul lieu qui ne convienne pas à ce sacrement est le confessionnal conventionnel, qui manifeste  beaucoup trop la honte du péché… mais pas assez la joie et la tendresse de Dieu.

Je termine ici par un court extrait de mon journal que j’ai écrit alors que j’étais au monastère :

17 février 1983

Si j’étais prieure, ma première entreprise serait d’arracher la grille et le mur du confessionnal! Oh Mon Jésus, quelle folie d’enfermer ainsi la Miséricorde!  Pauvre Amour emprisonné!  Qu’il nous faut réapprendre l’Amour!  Qu’il nous faut réapprendre la tendresse!  O Jésus, qu’éclate ton Amour comme un torrent débordé de son lit!  Que tes prêtres soient brûlés au cœur, que ton Amour les consume! Que les formules apprises deviennent source jaillissante en Vie éternelle!  Que ton Église resplendisse de sainteté!  Qu’enfin, tu sois elle, et qu’elle soit Toi!

 

 

 

L’Église est une mère

Par Johane Filiatrault, le 7 mai 2003

L’Église est une Mère.  Elle s’est beaucoup donnée pour enfanter à la vie spirituelle de nombreux fils et filles, les nourrir, les instruire et les aider à faire leurs premiers pas de croyants.  Mais voici que ses enfants ont grandi; ils approchent l’âge adulte et revendiquent la liberté d’inventer avec elle un lien d’égal à égal.  Va t’elle continuer de les materner et de les encadrer?  Ou va-t-elle faire confiance à l’enseignement qu’elle leur a généreusement donné et les laisser librement transmettre à leur tour ce qu’ils ont reçu d’elle?  C’est tout un défi pour notre mère Église que ce passage de son rôle traditionnel d’autorité suprême après Dieu à un rôle de simple guide toujours accessible; un passage que toute mère doit traverser, avec plus ou moins de heurts selon le cas.

Je me définis comme croyante fervente et, depuis l’enfance, je vis ma foi à l’intérieur de l’Église catholique.  C’est donc ma propre Mère que je questionne… avec amour.  Il y a actuellement des fils et des filles matures dans l’Église, prêts à prendre des responsabilités et à s’engager, des hommes et des femmes dont le cœur est saisi par Dieu et en qui l’Esprit Saint a forgé une âme de pasteur.  Mais ils ne trouvent pas dans la structure ecclésiale l’espace nécessaire pour déployer leurs ailes et s’élancer.  La hiérarchie ne reconnaît pas leur ministère, ne bénit pas leurs entreprises, n’encourage pas leurs actions;  parfois même, elle s’en dissocie ouvertement.  Peur du dérapage?  Peur de perdre son autorité?  Désir de garder un contrôle strict sur ce qui se dit en son nom?  Ou pire encore, manque d’ouverture spirituelle?

Actuellement, dans l’Église du Québec, une des conditions d’admission incontournable pour accéder aux ministères, ordonnés ou non, (prêtres, diacres ou agent(e)s de pastorale) est l’obtention d’un diplôme de théologie ou de pastorale.  Je n’ai personnellement rien contre les études mais je sais pertinemment bien que la science de Dieu et la connaissance des âmes ne s’apprend dans aucune université humaine, mais dans une longue et amoureuse fréquentation divine au travers de la prière, des écritures inspirées et des sacrements.  Le Christ s’est-il, lui, entouré de beaucoup de gens bien instruits?  Comme toute institution, l’Église est menacée de sclérose; plus que toute autre, peut-être, puisque ne sont admis que des hommes aux sièges décisionnels.  Or, de par sa nature, l’homme est viscéralement gardien des traditions et du pouvoir établi – c’est bien.  La femme, elle, est plutôt gardienne de la vie, plus réceptive aux besoins humains et aux inspirations nouvelles – c’est bien aussi.  La vérité se trouve dans un juste équilibre entre les deux.

L’Église est une Mère… elle a un cœur et un corps de femme, et je rêve de la voir s’asseoir, ses bergers à côté d’elle et ses enfants autour, tous ensemble à la même école : celle de l’Esprit.  Il faut réinventer la famille Église (je ne parle pas du contenu du dépôt de la foi qui, lui, doit toujours rester le même).  Puisqu’il y a peu de candidats au sacerdoce actuellement (à cause des conditions d’accès trop strictes, le célibat surtout), on compense en nommant des agents ou agentes de pastorale.  On leur donne une mission sans leur donner les outils pour la réaliser.  Quels sont ces outils qu’on leur refuse?  Le pouvoir de baptiser, de pardonner et de nourrir que le Christ a conféré à tous ceux qu’il a envoyé : le sacerdoce, quoi!

Quand choisira-t-on dans les communautés locales des personnes d’une foi éprouvée pour leur confier le soin des âmes et leur conférer un vrai ministère dans toute sa force?  Pendant plusieurs siècles au commencement de l’Église, le mariage n’était pas un empêchement pour être ordonné à un ministère (et il en est encore ainsi dans bien des Églises).  Élever une famille : ne serait-ce pas une merveilleuse école pour former un cœur de prêtre (d’«ancien» comme on les appelait autrefois)?  N’est-ce pas là qu’on apprend le mieux à prendre soin des plus faibles, à se sacrifier pour l’amour des petits, à partager et à prendre des décisions à deux, à s’oublier pour le bien de ceux qu’on aime?  Toutes qualités essentielles pour faire un bon pasteur!