Par Johane Filiatrault
Ce soir-là, dans le constat de notre fils de 13 ans, il y avait une pointe de tristesse, de déception, d’inquiétude même; c’était autour de la table, lors d’un repas du soir alors qu’il nous faisait part de ce dont il avait été question lors d’un récent cours d’éthique et culture religieuse : ils avaient parlé de la décroissance vertigineuse du taux de pratique catholique. De là à conclure que notre religion allait fort possiblement disparaître, il n’y avait qu’un pas que notre fils franchissait tristement.
La disparition d’une institution sociale séculaire est effectivement douloureuse, voire choquante, et fait nécessairement passer les personnes et les sociétés par toutes les étapes du deuil – encore davantage s’il s’agit d’une institution religieuse puisque le lien à l’au-delà est profondément ancré en l’être humain. Je dirais même que ce lien est inaliénable : on ne peut extirper de l’humain la racine qui le relie à l’Absolu sans sérieusement attaquer en lui le fondement même de son humanité. Les sciences humaines arriveront sous peu – arrivent déjà? – à ce constat obligé : pour être heureux, harmonieux et aimant, un être humain doit NÉCESSAIREMENT être ouvert à la TRANSCENDANCE. Cette ouverture au Tout Autre s’opère au plus secret de lui-même, dans l’intime de son âme, là où aucune religion n’a accès. Elle advient souvent grâce au témoignage d’autres croyants dont l’ouverture de l’âme rejoint sa propre aspiration à connaître l’Invisible; elle s’opère par une action forte de l’Invisible lui-même.
Pour ce qui est des religions, il s’agit, somme toute, d’un ensemble d’actes, de balises et de pensées suggérées dans lesquelles l’âme n’est pas nécessairement impliquée. Pratiquer un culte collectif et organisé n’est pas un absolu pour l’être humain. Il peut très bien vivre heureux sans institution religieuse, sans religion catholique, musulmane, évangélique ou autre. Parions même qu’il peut vivre plus heureux, plus libre et plus responsable SANS RELIGION OFFICIELLE. J’en ai personnellement la certitude.
Comment en effet être vraiment et totalement SACERDOTAL, PROPHÉTIQUE ET SOUVERAIN si je remets ma capacité de jugement à quelqu’un d’autre, si je m’abstiens d’explorer moi-même les profondeurs de Dieu en adoptant un « système de piété » pensé par d’autres ou si je court-circuite mon engagement à effectivement construire un monde plus juste en me reposant sur le fait que « j’ai dit oui et je suis désormais sauvé »? Ou alors, serions-nous destiné à vivre médiocrement, dans un conformisme aliénant, en suivant jusqu’à notre mort les voies toutes tracées que d’autres nous ont garanties sécuritaires, qu’elles soient capitalistes, religieuses ou autre? Le Créateur de la liberté nous voudrait-il ainsi, harnaché et obéissant à des consignes séculaires inaltérables et garanties? N’y a-t-il pas place dans son divin plan pour l’exploration, pour l’essai-erreur ou pour le cheminement spirituel inédit et original, unique à chaque individu et sacré au point que nul ne puisse s’y immiscer entre le Tout-Aimant et son aimé(e) – ni gourou, ni vendeur de trucs, ni pape, ni orienteur de conscience. Tout autre que le Tout-Autre est ici de trop – un écran, un obstacle, un usurpateur – hormis Celui à qui Tout a été remis, Lumière incandescente, guide doux et humble et parfait. Il ne reste que ma liberté, Dieu, mon prochain et moi ; et ce que je choisirai de faire de ma vie, les traces que je laisserai derrière moi après ma mort, après mon départ vers… le couronnement. (Ce qui n’enlève rien à l’utilité d’être accompagné dans sa montée spirituelle de « sherpas » humbles et aimants.)
Personnellement, je ne crois pas que l’institution catholique romaine risque de disparaître complètement : elle deviendra peut-être plutôt (elle est déjà devenue?) un bastion archaïque visant la sauvegarde d’un patrimoine du passé, comme le sont les amish ou les juifs hassidiques, par exemple, quelque chose qui rejoint très peu la masse et qui, tristement, voile l’éternelle jeunesse de l’Au-delà; quelque chose qui transmet d’une génération à l’autre les limites moralisatrices stérilisantes des systèmes érigés par les patriarcats fermés sur eux-mêmes de tous les temps.
Vivre sans religion, oui, possible! Mais vivre tel un être humain atrophié, en étouffant son âme dans la non-conscience de son existence éternelle, jamais, de grâce!