Envers et contre tous – particulièrement à l’encontre de la hiérarchie catholique toute puissante de l’époque – la révolution tranquille a permis aux Québécois et Québécoises d’apprendre à se définir en dehors de l’omniprésente référence à un cadre religieux paternaliste et restreignant. Plusieurs à ce moment n’ont-ils pas décrié avec force ce qu’ils percevaient être un manque de loyalisme envers l’institution religieuse (et, pourquoi pas, envers Dieu lui-même!) qui a présidé à la naissance de ce pays, allant même jusqu’à annoncer la fin de notre glorieuse patrie? Pourtant l’histoire aura démontré la sagesse de cette prise de distance de l’état face à la propre religion ancestrale de son peuple. N’en a-t-il pas résulté pour notre nation un essor formidable, tant au plan artistique, intellectuel qu’économique, faisant du Québec un leader mondial dans l’art du mieux vivre?
Plus récemment, un autre choix de société nous a amené à retirer l’enseignement religieux de nos écoles publiques, exercice encore une fois décrié par plusieurs Québécois mais qui a – envers et contre tous – bel et bien été sanctionné par l’état afin de favoriser la neutralité religieuse au Québec. Si l’état a osé sabrer ainsi dans l’identité religieuse de la majorité de sa population, il serait totalement aberrant qu’il n’applique pas les mêmes règles restrictives pour toutes les religions au Québec. D’autant plus que le bilan de cette libération du carcan religieux est, somme toute, positif.
Si cette séparation de l’église et de l’état n’avait pas eu lieu au Québec, le statut de la femme serait-il ce qu’il est actuellement ici? Non, sans doute! Parce que les religions qui prônent, « de droit divin », un niveau d’autorité supérieur pour les hommes que pour les femmes ne peuvent que maintenir celles-ci dans un statut inférieur au sein des sociétés qu’elles incorporent. L’état n’a-t-il donc pas le devoir d’agir en bon parent? N’est-ce pas agir en bon parent que d’inciter les nouveaux arrivants et les tenants de religions patriarcales à entrer dans ce mouvement de libération religieuse qui a tant fait évolué notre nation, et de le faire par tous les moyens respectueux dont dispose l’état. Un bon parent n’a-t-il pas le devoir d’indiquer aux siens une voie d’épanouissement sûre, une manière d’être qui favorise le mieux-être individuel et collectif?
Car ceux qui disent que la charte des valeurs québécoises s’oppose au multiculturalisme n’y voient vraiment pas clair! Laisser se ghettoïser chaque groupe de culture différente mènera encore moins au multiculturalisme recherché, mais plutôt maintiendra des nationalismes distincts dans une société pluraliste. Favoriser le multiculturalisme, n’est-ce pas tout mettre en œuvre pour que la valeur individuelle de chaque personne soit affirmée haut et fort, non pas à cause de son appartenance à tel groupe religieux ou ethnique mais à cause de sa seule dignité fondamentale d’être humain? Interdire le port d’insignes religieux ostentatoires dans l’espace étatique revient à affirmer que l’être humain est plus que sa religion; et cela incite chaque citoyen professant une religion particulière à réfléchir sur la corrélation existant (ou n’existant pas!) entre sa liberté personnelle et son obédience religieuse. Est-ce que sa religion libère les hommes et les femmes qui la professent? Est-ce que sa religion prépare les hommes et les femmes à exercer un leadership réel et engagé sans distinction de genre? Si la réponse à ces questions est non, cet adepte ne devrait pas se surprendre qu’une société comme la nôtre visant l’égalité homme-femme sans aucune forme de discrimination soit à tout le moins dérangée par la propagande religieuse de son groupe!
Oui l’état québécois doit indiquer une voie d’égalité homme-femme à tous ces citoyens, même ceux à qui leurs chefs religieux indiquent une voie contraire. Sinon, l’état accepte par son inaction la création ou le maintien d’une sous-classe sociale : les femmes. Si un groupe prônait ici l’apartheid envers les noirs, ne seraient-ils pas immédiatement (et avec raison!) empêché d’agir? Mais plusieurs églises chrétiennes, la plupart des mosquées et plusieurs autres groupes religieux prêchent ici allègrement un niveau supérieur de leadership pour les hommes au détriment des femmes et personne ne s’en inquiète!!! Nous jugeons cette inégalité dans les droits acceptable et nous fermons les yeux! N’est-ce pourtant pas exactement la même erreur : exclure de certaines sphères sociales et décisionnelles un groupe de personnes qui se distingue par son sexe ou la couleur de sa peau? Et ces institutions religieuses sexistes font des adeptes (et des enfants) chez nous, hypothéquant l’avancée du droit des femmes au Québec. N’est-il pas grand temps que l’état indique une direction, la même pour tous?
Quand le gouvernement du Québec cessera-t-il de financer à 60% l’enseignement privé confessionnel sur son territoire? Quand des règles claires dénonceront-elles l’assujettissement religieux des femmes dans notre beau pays appelé à la liberté? Quand freinerons-nous l’élan des religions et églises sexistes qui propagent depuis trop longtemps déjà cette erreur sur notre territoire?
Johane Filiatrault
Jean Beauchemin
Le 30 septembre 2013