Par Johane Filiatrault
Je ressens une certaine admiration pour les hommes et les femmes de chez nous qui s’adonnent à la culture de la marijuana : ils vivent continuellement sous tension, faisant preuve d’un sang froid hors du commun, et manifestent un esprit d’entreprise très prolifique. C’est un travail extrêmement payant bien sûr, mais à condition d’être bien fait et, force nous est de constater que l’agriculture nocturne de par ici se porte à merveille : nos semeurs sont, pour la plupart, des experts en la matière! Je les admire donc, d’une certaine manière, tout en me faisant du souci pour eux…mais je ne les envie surtout pas : j’ai choisi un mode vie plus paisible.
Puisque nous faisons actuellement à cause d’eux les manchettes de la province, peut-être pourrions-nous profiter de l’évènement pour procéder à une analyse en profondeur de notre milieu de vie? Nos élus municipaux n’ont pas trop su quoi en dire… Cessons de jouer à l’autruche et parlons-en donc! Pas pour dénoncer… parce que dénoncer n’effleure même pas l’esprit des gens d’ici qui sommes à peu près tous liés d’amitié ou de parenté à un semeur ou à un autre. Mais parlons de la peur ; peur qu’un de nos proches se fasse arrêter ; peur de ceux qui reçoivent des menaces s’ils parlent… ou de l’argent pour se taire. Parlons de nos enfants surtout. Ça ne prend pas de longues études en psychologie pour constater la marque du milieu sur eux.
Quand la famille vit dans l’illégalité, l’enfant apprend le non-respect de l’autorité. Quand les parents sèment dans le champ du voisin, qu’apprend l’enfant sur le respect de la propriété d’autrui? Quand son entourage est dans le stress de la saison, l’enfant, lui est dans l’angoisse. Vous êtes-vous déjà demandé quel jugement portent ces enfants sur les modèles adultes qu’ils côtoient : « Les adultes sont des personnes vraies, respectueuses et engagées socialement » ou « Les adultes sont des personnes qui essaient de m’imposer des comportements qu’ils ne pratiquent pas eux-mêmes » ou « les adultes s’enrichissent illicitement et il n’y a pas de mal à le faire »? Serons-nous étonnés de constater que plusieurs de ces enfants dysfonctionnent à l’école et dans la société en général?
Ces dernières années, notre société a beaucoup investi pour armer les enfants contre les abus sexuels de toute sorte. Faudrait peut-être investir également pour lever le tabou qui pèse lourd sur les épaules des enfants du cannabis : ils implosent par en dedans et auraient besoin de libérer leur conscience de ce qui l’inquiète. Qui s’en souciera? Nos élus municipaux (et combien de citoyens?) hésitent encore à investir pour leur donner un parc école décent… Alors peut-on espérer que l’état d’âme des enfants du Bas St-François pèsera plus lourd dans la balance du non pouvoir électoral des petits?
Peut-être que ce sont finalement les semeurs eux-mêmes qui devraient agir dans ce dossier, eux qui se soucient certainement du bien de leurs enfants. Pourquoi les « travailleurs au noir » de chez nous ne s’imposeraient-ils pas une taxe volontaire sur leur lucrative récolte pour créer un « fond de responsabilité » destiné à améliorer la qualité de vie dans le Bas St-François? L’argent déposé (anonymement, il va sans dire!) dans ce fond pourrait entre autre servir à payer un psychologue (ou autre intervenant de l’âme) dans nos écoles, pour tenter de redonner de l’oxygène à nos enfants… On voit ça ailleurs dans notre société évolutive : d’autres mènent en toute légalité des activités à tout le moins aussi nocives que le cannabis (tabac, alcool, loteries, exploitation sexuelle de tout acabit) et se voient imposer (ou devraient se voir imposer) une taxe pour réparer les dégâts qu’ils causent pour s’enrichir. Arrêtons de pelleter nos déchets dans la cour du voisin et prenons nos responsabilités, de grâce.