Dieu tout-puissant et souffrant

Travaux de théologie – Par Jean Beauchemin, le 3 mai 2008

1.  Montrez comment le Dieu de l’alliance est nécessairement un Dieu tout-puissant et souffrant

L’existence de Dieu, en tant qu’être tout puissant, pose question, à savoir : pourquoi le mal et la souffrance dans le monde puisque Dieu est toute bonté et tout amour? Jésus semble lui-même ébranlé dans ses convictions quand, après avoir accepté de réaliser la volonté de son Père à Gethsémani, Il demande à Dieu, sur la croix, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »(Mt 27,45). Notre liberté doit nous conduire à assumer pleinement l’âge adulte, c’est à dire entrer pleinement dans notre incarnation qui implique d’abord la finitude de notre être. C’est ce que Jésus doit assumer sur la croix; son humanité, et sa réaction ne fait que confirmer l’inexorable destin qui attend toute la création: sa fin.  Assumer également le paradoxe d’un Créateur capable de tout mais qui permet notre « anéantissement ». Dieu manifeste sa puissance dans la résurrection, par l’accès de la créature à la vie nouvelle; et la résurrection de Jésus est un acte de puissance beaucoup plus grand que celui de lui éviter la mort.

Dans ce contexte se pose alors la question de la prédestination. En effet, à quoi sert la liberté si le Créateur peut tout régir, tout diriger, et qu’Il est maître de tout? Il nous faut dépasser la barrière du déterminisme, de la prédestination, et par l’esprit, entrer dans la filiation avec Dieu, dépasser l’état d’esclave pour assumer la liberté du fils pour qui la toute-puissance de Dieu se manifeste. Cette toute-puissance de Dieu est manifestée dans la limite qu’Il impose à sa puissance pour que puisse s’émanciper notre liberté. Voilà son projet sur nous, une créature totalement libre qui choisirait de se mettre au service du plan divin sur l’humanité.

Mais l’expérience humaine de l’exercice du pouvoir a donné cours à beaucoup d’excès et nous sommes réticents à entrer dans la dynamique de l’Alliance tout en restant confiants que nous ne serons pas abusés. Trop souvent, sous prétexte de servir le bien commun, des leaders charismatiques ont utilisé la force pour leur propres intérêts. De nos jours, l’idée de toute-puissance n’a rien de rassurant. Aussi Jésus nous rappelle que « Celui qui veut devenir grand parmi vous se fera serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous se fera l’esclave de tous. Aussi bien, le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir »(Mt10, 43-45). Ainsi, les écritures nous révèlent plutôt un Dieu qui s’oppose à l’exercice d’un pouvoir oppressif et prêchent « la dénonciation et le renversement de tout pouvoir de la sorte». (p.147, note de cours).

Il ne faudrait pas regarder la toute-puissance de Dieu comme l’expression d’une compensation de notre propre impuissance face à nos misères mais plutôt comme la manifestation de sa capacité à nous «délivrer de notre finitude humaine, de notre condition mortelle» (p.148). Elle ne nous garde pas de la mort mais nous garantit que la fidélité à l’Alliance, dans la foi, assure l’éternité. La volonté de Dieu sur le monde est donc que sa toute-puissance ne soit pas comprise comme une forme de domination mais comme une protection bienveillante.

En opposition à la puissance de Dieu se trouve Sa propre souffrance, celle conséquente au rejet de l’Alliance. En tant que Père et initiateur de l’Alliance, Dieu souffre du refus de l’être humain d’y entrer librement. Il s’agit d’un lien d’amour et quand l’amour est rejeté, Dieu en souffre. C’est ainsi qu’Il a envoyé son Fils. Jésus accepte librement de passer par la souffrance, la faiblesse et la mort pour manifester au monde que Dieu peut supplanter la mort, «la Passion du Christ apparaît ici comme l’expression de son pouvoir, de la puissance qu’il reçoit du Père» (p156).

Jésus, dans son témoignage, nous invite à suivre son exemple «Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera» (Mc8, 35). Il est là le paradoxe du Dieu tout-puissant et souffrant. Ainsi Dieu, par amour, affirme sa puissance en acceptant de mourir à Lui-même dans la mort injuste de son Fils aimé, tout comme la mère qui doit passer par la souffrance de l’accouchement pour donner la vie. La puissance de l’amour se manifeste donc dans le décentrement de soi vers l’autre. Ce qu’il y a de particulier dans l’exemple que Dieu nous donne, c’est que dans notre cas, notre don se fait dans un rapport à un égal à soi, un autre humain, mais Dieu, Lui, le fait envers une créature qui Lui est bien inférieure.

 

3. Quelle serait votre réaction et votre réponse à quelqu’un qui se présenterait à vous comme athée?

À mon avis la question doit être abordée dans l’angle de la thèse de Tillich, c’est-à-dire que «la négation de Dieu peut être simplement la négation d’une figure de Dieu, d’un discours sur Dieu, le discours théiste justement. En somme, la négation de l’athée n’exclut pas la présence d’une foi réelle, cachée sous la superficie des discours, des malentendus» (p.365, notes de cours). Nous devons éviter les débats qui nous campent dans des positions tranchées de croyants/incroyants, théistes/athéistes parce qu’ils divisent profondément et qu’ils nous coupent d’un dialogue conduisant à une meilleure compréhension de l’esprit qui anime l’humanité. Si Dieu existe, et c’est là notre conviction, Il est le Dieu de tous, croyants et incroyants.

Chaque personne doit alors le rencontrer de façon intime et personnelle. Il faut chercher à comprendre comment, par son discernement, mon interlocuteur en est venu à la conclusion que Dieu n’existe pas. Ainsi, je peux cerner les questions laissées sans réponse ou les réponses inappropriées qui lui font croire en l’absence totale d’un être capable d’intervenir dans l’histoire du monde.

J’essaierais donc de conduire la conversation en ce sens que tout ce qui existe a surgit de quelque chose quelque part et il y a bien longtemps que l’humanité a développé des croyances autour des forces qui régissent la vie et la nature en leur conférant des valeurs sacrées. Le sacré a pris figure de ce que l’on a d’abord nommé dieu, que le monothéisme a nommé Dieu, source et origine de tout «une force qui nous dépasse, qui nous engendre» (p.363, notes de cours).  En effet, la révélation biblique va au-delà de ce qu’en comprenaient les peuples anciens, qui voyaient dans les forces de la nature des êtres divins luttant pour des intérêts souvent divergents, toujours à leur profit. Le Dieu de la Bible est un Dieu aimant qui transcende la création, surgit au cœur de l’humanité et lui révèle le concept de l’Alliance, le désir qu’Il a de cette rencontre intime entre Lui et chacun de nous. Bien sûr, cette Alliance comporte des « interpellations morales » qui nous servent de balises, car il s’agit d’un Dieu juste envers tous. Quant aux règles, elles ont pour fonction de nous garder toujours vigilants quant à notre rapport à l’autre en qui se manifeste aussi l’Amour de Dieu; Dieu veille sur nous, et en veillant sur notre prochain nous collaborons à son action. C’est un Dieu qui transcende notre univers pour nous venir en aide lorsqu’on lui en fait la demande.

C’est par la prière que nous entrons en relation avec Dieu. Elle peut prendre toutes les formes, être formulée pour demander des biens de première nécessité aussi bien que pour remercier, d’un beau coucher de soleil par exemple. Cependant, la prière prend tout son sens et sa valeur dans la pleine conscience de l’Alliance: on devient collaborateur volontaire de la réalisation du plan de Dieu sur le monde. Dieu nous ayant créé avec la capacité d’avoir une conscience spirituelle, Il a donc sur nous des attentes et des exigences; et l’une d’entre elle implique que nous respections le fait qu’Il nous est supérieur: Il est l’Être suprême. C’est le Dieu personnel qui n’est pas une personne, que l’on dit transpersonnel, Dieu au-dessus de Dieu.

Il nous faut finalement reconnaître que nous n’ avons pas terminé de découvrir ce Dieu révélé dans les Écritures et qu’en ce sens on peut comprendre que certains y voient l’image d’un Dieu au-dessus de Dieu mais cela ne change en rien ce qu’Il est. Nos limites à Le comprendre ne sauraient être un argument  justifiant une compréhension différente de ce qu’Il dit de Lui-même dans la Bible « … nul autre avec moi n’est Dieu» (Dt, 32-39b). La connaissance de Dieu ne peut être contenue dans le sens limité des mots que nous employons pour le décrire; ceux qui se trouvent dans la Bible n’y font pas exception. Il est nécessaire pour présenter Dieu dans le monde d’aujourd’hui d’envisager de nouveaux concepts, signifiant pour notre temps.

 

BIBLIOGRAPHIE:

-La Bible de Jérusalem, DESCLÉE DE BROUWER, Édition du Cerf, Paris 1973

-Note de cours