Travail biblique – Par Jean Beauchemin, le 21 février 2008
2. Comment peut-on croire en un Dieu sauveur dans les situations de souffrances?
D’aussi loin que l’on puisse observer le rapport à la souffrance dans les sociétés humaines, il a provoqué la répulsion. Pourtant, elle aura conduit l’humanité dans des voies de réflexion qui sont à la base de certains des plus grands paradoxes de l’univers dans lequel nous évoluons. On vient en ce monde, notre corps se transforme, il devient plus grand, plus fort, puis se dégrade peu à peu, devient inerte puis se disloque et disparaît. Voilà une des grandes certitudes de tout être humain « je naît donc je meurs ». La métamorphose que subit notre corps de sa naissance à sa mort n’est pas sans souffrance.
On ne peut pas acquérir ce qui n’existe pas et, c’est ce que nous révèle les sciences : il y eut un moment où notre univers n’existait pas et il y aura un moment ou il n’existera plus. C’est donc que tout est ordonné et l’ordre en toute chose ne peut tenir du hasard. Les fouilles archéologiques nous ont appris qu’il y a longtemps que l’être humain entretient un rapport très particulier avec la mort, ce temps où il n’existera plus. Le rapport à sa finitude l’a mené à chercher à l’intérieur de lui-même les causes et les raisons de son existence et il a tenté de trouver un sens aux souffrances qui accompagne sa traversée de la vie. C’est au travers même de ses souffrances que l’être humain a découvert cette « chose créatrice », que l’on a appelé Dieu . Parce qu’il est dans notre nature de nous tourner vers l’autre quand on ne trouve plus les réponses, l’être humain s’est tourné vers la cause de son existence, cette « chose créatrice » qui fait qu’il est là, pour répondre à ses questions existentielles. « Tout ce qui ébranle les faits…peut ouvrir une voie vers Dieu.» (p.10), c’est par nos limites, notre incapacité à tout résoudre par nous-même que nous entrons en relation avec Dieu, qui nous fait découvrir le mystérieux rapport qu’il y a entre la souffrance et Lui. C’est notre capacité d’introspection qui nous conduit à concevoir un « idéal au-delà du réel» (p.10) nous permettant de concevoir une situation préférable à celle prévalant dans le réel. Il ne s’agit pas de fabulation incongrue mais plutôt de la conviction d’un idéal « possible et réalisable ». (p.10), que Dieu désire et auquel Il aspire pour sa créature. Car Dieu aime Sa création et Il l’a conçue de sorte que toute créature soit assurée qu’Il fera tout en Son pouvoir pour permettre sa pleine réalisation dans le respect du libre choix accordé à l’être humain. Mais ce choix que nous assumons nous porte trop souvent à chercher notre profit, au détriment de celui de nos semblables, ce qui a pour effet de briser l’harmonie souhaitée.
C’est dans ce contexte de déséquilibre que la personne lésée dans ses droits ou ses aspirations, se tourne spontanément à l’intérieur d’elle-même et se place sur la voie qui la mène vers Dieu. Son questionnement prend «la forme d’une prière, d’un appel au secours. Et le Dieu auquel on fait ainsi appel apparaît lui-même alors comme le Dieu du secours, comme le Dieu sauveur.» (p.11). Le sentiment d’abandon que nous ressentons lorsque nous vivons une détresse nous pousse donc à la rencontre de Celui qui a tout mis en place, Celui qui nous semble avoir le plus grand pouvoir sur ce qui est, la « chose créatrice », Dieu. Il parait paradoxal qu’un Dieu capable de concevoir tout ce qu’Il a fait, de sorte que l’idéal soit possible, a aussi fait que l’indésirable, la souffrance par exemple, soit aussi possible. «Dieu se fait d’abord sentir par Son absence» (p.11), c’est dans l’ordre des choses que nous réalisions l’absence seulement lorsqu’il y a absence, il y a donc prise de conscience d’un vide avant le désir de remplir ce vide. Ainsi quand on se sent abandonné de Dieu, on Le cherche et c’est là Son désir le plus grand, ce qu’Il a manifesté par Moïse et les prophètes « Je suis Yahvé ton Dieu, qui t’ai fait sortir d’Égypte, de la maison de servitude» (Ex. 20 -2, Bible de Jérusalem, Desclee de Brouwer, Paris, 1975). À l’intérieur même de ce passage se trouve les fondements de notre assertion, Dieu est un être qui libère et qui sauve.
Dieu n’a pas voulu imposer ses règles à l’humanité mais désire que, devant l’inacceptable, nous Lui demandions secours. L’inacceptable se produit quand, en assumant notre libre choix, nous le faisons au détriment de l’autre. En Dieu seul se trouve l’objectivité de faire advenir l’idéal souhaitable au temps et de la manière que son incommensurable bonté prescrit pour le mieux de tous. Mais ce sentiment de confiance bienveillante peut être profondément déçu et même nous faire douter de l’existence de Dieu lorsque les évènements ne nous semblent pas correspondre à ce que nous comprendrions comme étant une réponse acceptable à nos prières. Beaucoup de nos contemporains y voient la preuve de l’inexistence de Dieu. Ils perçoivent les religions et la foi comme des « palliatifs pour soulager la souffrance…pour ceux qui ont besoin d’anesthésie» (p.12). Mais l’esprit, par sa capacité de transcendance, tend spontanément vers son origine, soit l’Esprit duquel émerge tout esprit, dans une supplication implorant le réconfort. Voilà ce qui constitue la première expérience de Foi, le désir de Dieu. Il ne s’agit pas d’un «pur mécanisme psychologique de projection » (p.13), c’est l’attraction spontanée et naturelle de la créature envers son créateur, comme l’enfant se tourne spontanément vers son parent quand il a mal. Notre rencontre avec Dieu se produit de façon similaire, c’est à dire qu’elle devient automatique et nécessaire quand nos pouvoirs humains ne suffisent plus à contrer la souffrance.
C’est parce qu’il est l’origine et la fin de la réponse à nos prières que nous Lui reconnaissons l’initiative de la rencontre «notre pensée de Dieu provient finalement de Dieu lui-même» (p.13). Cela nous est révélé de façon magistrale par le témoignage de la Bible et de l’Ancien Testament. En effet, un peuple, le peuple Juif, sous la dominance égyptienne est maltraité et soumis à l’esclavage. Ils sont sans possession et sans pouvoir mais devant l’oppression et la misère, vont se tourner vers ce qui est, cette chose indéfinissable de laquelle surgissent les évènements et la vie, Yahvé, Celui qui se révèle à Moïse «Je suis celui qui est» (Ex.3-14, Bible de Jérusalem, Desclee de Brouwer, Paris, 1975).
La souffrance est donc ce lieu de prédilection où Dieu se manifeste en nous conduisant dans la prière vers la solution idéale souhaitable. La personne qui a le mieux expliqué ce concept, c’est Jésus de Nazareth, celui dont le Nouveau Testament porte le témoignage. Il vient par sa vie révéler à l’humanité le dessein de Dieu sur elle en rapport particulièrement avec ses souffrances. Il condamne les attitudes qui engendrent les souffrances. Son intervention sera si mal comprise qu’on le tournera en ridicule pour finalement le condamner au supplice de la croix en lui proposant, puisqu’il annonce la fin des souffrances de son peuple, de se sauver lui-même. Le témoignage de sa résurrection est la manifestation qu’il est la voie de Dieu dans le monde. C’est lui que Dieu envoie «porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, rendre la liberté aux opprimés» (Lc 4, 18; Is. 61, 1, Bible de Jérusalem, Desclee de Brouwer, Paris, 1975). Il vient révéler à l’humanité l’Amour que Dieu porte aux hommes, comment les Lois de l’Ancien Testament ont été données, non pas pour la crainte de Dieu, mais pour nous apprendre les règles qui régissent l’Amour; ce qui, vécu dans la liberté et le respect, conduit à l’harmonie voulue par le Créateur.
Partant du principe que la souffrance est un aspect intrinsèque de la vie et que l’être humain par sa conscience ne peut s’en détacher il est compréhensible que cet état de conscience même soit aussi cause de souffrances, ainsi notre finitude et notre incapacité à satisfaire tout nos désir nous sont une aberration. Notre tendance naturelle nous pousse soit à désirer les «privilèges divins et tout spécialement l’immortalité» dans notre état de créature, ou bien « la plénitude de la totalité par la suppression de tout ce qu’il y a en nous de particulier et de fini» (p.26) ce qui revient à l’abnégation de soi.
La vision chrétienne soutient que Dieu nous a créé avec des limites et qu’Il ne nous a pas créé par nécessité mais par pure bonté, nous proposant de nous préparer par cette vie à pénétrer le mystère de Son Amour qui nous assure d’une vie éternelle après la mort physique du corps. Dieu ne nous sauve donc pas de nos limites et de notre contingence, Il veut «restaurer la création dans sa bonté première, en réconciliant et réunissant la créature avec son Créateur» (p.26). L’aliénation vient du refus de l’être humain d’accepter ses propres limites en revendiquant les privilèges du Créateur, face à Dieu et face aux autres; là se trouve le mal, le péché. L’homme cherche dès lors à dominer, à prendre à son profit au détriment des autres. C’est contre ce mal que l’on doit lutter, celui de l’exercice d’un pouvoir de contrôle, de domination sur autrui.
Selon moi, notre finitude est naturelle il faut donc l’aborder comme telle, sans révolte, sans violence car l’abus sur l’autre ne saurait être une garantie de pérennité de soi. Il faut au contraire assumer cet état de fait avec compassion. Il faut réagir contre ce qui est la cause du mal. On ne peut pas empêcher la mort, elle est naturelle à la vie, mais on peut la retarder ou adoucir les conditions dans lesquelles une personne meurt. On ne peut pas non plus empêcher les disparités économiques, culturelles entre les personnes mais on peut atténuer les effets dévastateurs de l’exclusion de certains groupes de personnes qui par leur situation n’ont pas ou ont peu de pouvoir. Car le pouvoir n’est pas un mal en soi, mais son exercice mène souvent à des abus. Il doit être exercé de manière à ce que soit respectée toute la création, tenant compte de ses limites. C’est l’action de Dieu qui permet la réalisation pleine et entière de toute création. L’être humain doit agir de façon volontaire en harmonie avec le dessein du Créateur et en cela tout être humain est faillible, peu importe sa condition.
L’action de Dieu, c’est elle qui nous sauve. Dieu nous l’a fait savoir par les prophètes et particulièrement par la vie et la mort de Jésus. Ce ne sont pas nos limites qui nous séparent de Dieu, ce sont nos refus d’harmoniser nos actions aux siennes. Notre incarnation n’est pas un obstacle à cette union au Dieu Sauveur puisque Jésus lui-même nous dit «à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu» (Jn 3-5). Ainsi, il faut d’abord naître de l’eau, donc entrer totalement dans son incarnation, prendre conscience de ce que cela implique. Ensuite, on doit travailler à l’approfondissement de sa compréhension de l’œuvre de Dieu, chercher à comprendre ce à quoi Il aspire, pénétrer Son Esprit pour contribuer par ce que nous sommes à la «co-rédemption» du monde. Évidemment nous nous trompons souvent et c’est dans les appels au secours que nous lui lançons que Dieu se révèle un Dieu sauveur.
Bibliographie :
-JEAN RICHARD, Dieu, Ottawa, Novalis, 1990.
-Bible de Jérusalem, Desclee de Brouwer, Paris, 1975