La fin de quoi?

Par Johane Filiatrault, le 18 novembre 2011

« Cette bonne nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier ; tous auront là un témoignage. Et alors viendra la fin. » Mathieu 24, 14

À quoi ont servi les institutions ecclésiales (de toutes confessionnalités) depuis leur fondation, sinon à annoncer la bonne nouvelle du Royaume? Elle a été annoncée dans le monde entier, non? (À preuve, j’ai trouvé la citation précédente de Mathieu sur le web dans la T.O.B. version intégrale en ligne!) Le monde entier a ce témoignage à sa portée, donc.

Alors, la fin est venue. La fin de quoi? Et s’il ne s’agissait que de la fin du temps du témoignage, tout simplement? Le message du Christ est désormais proposé au monde entier; on ne va pas l’en assommer jusqu’à la fin du monde, j’espère! Chacun est désormais libre de s’en abreuver, s’il le souhaite. « MISSION ACCOMPLIE! », devraient proclamer toutes les confessionnalités chrétiennes.

Mais, au cas où nous n’aurions pas compris, Jésus poursuit : « Quand donc vous verrez installé dans le lieu saint l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, alors ceux qui seront en Judée, qu’ils fuient dans les montagnes… » Mathieu 15-16

L’Église mère de toutes les autres Églises – l’Église catholique, se proclamant elle-même détentrice de la chaire de Pierre – serait-elle actuellement devenue un lieu d’abominable désolation??? Oui si elle est en train de faire perdre du terrain au grand concile (au grand Souffle, plutôt), qui, il y a 50 ans avait réussi à décloisonner l’Église pour en faire le bercail universel de l’humanité (plutôt qu’un club sélect moralisateur pour initiés catéchisés). Oui si, sous la gouverne de son guide actuel, l’institution catholique se laisse investir – comme on le constate avec consternation dans toutes les nouvelles qui émanent du Vatican – par l’esprit qui a présidé aux croisades et à l’inquisition, un esprit puriste qui dicte une ligne de pensée unique : « Avoir une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, est souvent étiqueté comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser porter « à tout vent de la doctrine », apparaît comme la seule attitude digne du temps présent. »  Homélie du 13 juin 2005 – par Joseph Ratzinger, la veille de son élection comme pape

C’était le début de la croisade de Benoît XVI contre la « dictature du relativisme ». Et partout, à la suite de son chef, on sent le durcissement des positions catholiques sur les points de doctrine. Pourtant, le « relativisme » moderne s’oppose à l’intégrisme. Et l’intégrisme religieux est la plus dangereuse forme d’intégrisme, on le constate malheureusement dans toutes les religions. L’Église catholique « risque de devenir une secte » estime le théologien suisse de réputation internationale Hans Küng cité par l’agence France Presse. Il poursuit : « le pape défend l’idée du petit troupeau (…) même si l’Église perd beaucoup de ses fidèles, il y aura au final une Église élitiste formée de vrais catholiques » et « il a une position ambiguë sur les textes du concile Vatican II car il n’est pas à l’aise avec la modernité et la réforme. » Ce retour rétrograde vers le passé, vers l’avant Vatican II, de Benoit XVI et de ses fidèles n’est certes pas une avancée libératrice, encore moins un ferment d’unité!

Aux yeux de Dieu, que peut-il y avoir de plus abominable et de plus dévastateur que de voir rétréci et rabougri le bercail qu’il avait préparé avec amour pour toute l’humanité? Si la maison de Pierre ne renvoie plus libres celles et ceux qu’elle touche, qui libèrera les enfants bien-aimés de Dieu, qui leur dira : « Va et sois fécond » (plutôt que « Reste et obéis »)?

Que nous est-il dit de faire quand arrivera ce temps de l’abomination? « Que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes » Mathieu 24,16   « Ceux qui sont en Judée » désignait, à l’époque, le peuple vivant autour de Jérusalem et de son temple, donc en termes d’aujourd’hui, ceux qui vivent près de l’influence ecclésiastique – que ceux-là trouvent plutôt refuge dans les lieux élevés, lieux naturels où on se rapproche du ciel, lieux spirituels où on touche Dieu, le fond de l’âme.

« Celui qui sera sur la terrasse, qu’il ne descende pas pour emporter ce qu’il y a dans sa maison. » Mathieu 24, 17     « Celui qui est sur la terrasse » symbolise celui ou celle qui a cherché un lieu tranquille pour élever son âme vers Dieu – celui ou celle-là, qu’il (elle) ne cherche pas à se sécuriser en retournant dans la maison (église) pour y chercher les biens réconfortants qu’elle offre (sentiment d’appartenance, identité définie, reconnaissance officielle, rites traditionnels collectifs, rattachement au patrimoine).

« Celui qui sera au champ, qu’il ne retourne pas en arrière pour prendre son manteau. » Mathieu 24, 18     « Celui qui est au champ » symbolise le (la) disciple qui, préoccupé(e) de l’appel du Maître, est sorti en plein monde semer et moissonner le cœur des hommes et des femmes de ce temps – celui ou celle-là, se voyant s’éloigner du bercail pour accomplir son boulot jusqu’au bout, fidèle à Celui qui l’envoie, qu’il (elle) ne retourne pas frileusement vers l’institution qui a le « pouvoir » de le canoniser ou de l’excommunier. « Prendre son manteau » en effet, c’est se parer d’honneur pour se rendre présentable aux yeux de ceux qui ne sont pas au champ au travail en plein soleil, c’est vouloir correspondre au « standing » de ceux qui  ne sortent pas au champ, de ceux qui s’occupent du bercail. Parce que quand on est au champ, au travail en plein monde, là où nous veut le Maître, ce qui est honorable et jugé par tous les travailleurs comme bénéfique et approprié, c’est de ne pas s’encombrer d’un manteau (c’est d’être tels qu’on est, sans faux semblant, VRAIS, même et surtout si, ainsi, on ne se sent plus « canonisables »)!!!

            Dans les temps de la fin que nous vivons, le Christ nous veut en tête à tête avec Lui, dans le secret de notre âme. Il  nous veut au travail, hors institution (hors les murs!), là où est en train de fleurir EKKLESIA : de simples groupes d’appartenance où il est bon et doux d’être frères et sœurs, œuvrant ensemble à un monde juste et bon.

            Nous vivons la fin de quoi, donc? La fin d’une forme « périmée » de religion collective affichée, le début d’une vie spirituelle intérieure, riche, féconde, mais intime et pratiquement invisible, où il n’est plus question d’aller à l’église mais d’être en communion réelle et profonde les uns avec les autres, quelle que soit notre adhérence de foi ; où il nous faut plus que jamais faire Eucharistie ensemble – deux ou trois personnes suffisent – afin d’y gouter la joie d’être en Dieu ; où les temps de silence et de prière que nous nous accordons deviennent aussi délicieux et bienfaisants que la meilleure des nourritures terrestres. À vrai dire, nous vivons le début d’un temps béni, et qui durera longtemps encore : jusqu’à la fin du monde!